Dans une lettre qu’il adresse à Douglas Cooper en janvier 1955, Nicolas de Staël écrit : « La peinture, la vraie, tend toujours à tous les aspects, c’est-à-dire à l’impossible addition de l’instant présent, du passé et de l’avenir. » Phrase riche d’un sens caché nous rappelant le débat stérile — abstraction/figuration — dont l’artiste a trop souvent été l’enjeu, lucide du risque à s’engager dans une voie préférentielle qui aurait fait dévier sa dialectique placée sous le signe d’une conscience aiguë lors de la réalisation de sa toile, ouverte aux réactions imprévues sous les pressions du hasard. Convaincu qu’il n’y a que deux choses valables en art, 1) la fulgurance de l’autorité, 2) la fulgurance de l’hésitation, il explique à Pierre Lecuire : « On ne peint jamais ce qu’on voit ou croit voir, on peint à mille vibrations le coup reçu, à recevoir, et comment crier sans colère une tête à la main et une plate-forme de l’autre » (lettre du 3 décembre 1949, Lettres de Nicolas de Staël à Pierre Lecuire 1949-1955, Éditions Pierre Lecuire, Paris, 1966).
Né dans la Russie des tsars, il passe son enfance dans la somptueuse et sévère forteresse Pierre-et-Paul dont son père, le baron Vladimir Ivanovitch de Staël-Holstein (famille de militaires, balte, apparentée à celle du mari de la célèbre femme de lettres), est vice-gouverneur. Sa mère slave est d’une riche famille. Passionnée de peinture et pianiste, elle encourage son fils à dessiner et à peindre. À l’âge de deux ans, il est nommé page à la cour impériale. Lorsqu’en 1917 éclate la Révolution, la famille Staël se réfugie dans ses terres estoniennes, puis en 1919 émigre en Pologne. Son père meurt en 1921, rejoint par son épouse l’année suivante. Nicolas et ses deux sœurs sont confiés à M. et Mme Fricero, d’origine russe, résidant à Bruxelles et qui seront les parents de Nicolas.
“ On ne peint jamais ce qu’on voit ou croit voir, on peint à mille vibrations le coup reçu, à recevoir, et comment crier sans colère une tête à la main et une plate-forme de l’autre. ”
De 1922 à 1930, il est l’élève des jésuites au collège Saint-Michel à Bruxelles, puis poursuit en 1931 ses études classiques au collège Cardinal-Mercier à Braine-l’Alleud. Passionné par les tragédies grecques, il est premier en français, remporte les coupes d’escrime, de tennis et de natation. En 1933-1934, il étudie le dessin antique à l’Académie royale des beaux-arts de Bruxelles dans la classe de M. Van Haelen, ainsi que la peinture. Obtient le premier prix au concours avec Un bateau-fantôme sur une mer démontée. Cours d’architecture et de décoration à l’Académie Saint-Gilles avec Charles Malcause et Georges de Vlamynck.
Au cours d’un voyage aux Pays-Bas, il admire Rembrandt, Vermeer. Réalise ses premières aquarelles. À son retour il décore une chambre d’enfants royaux au palais de Laeken. Un séjour en France lui fait découvrir la Provence et à Paris il est impressionné par Cézanne, Matisse, Braque, Soutine. Ses gains comme aide décorateur lui permettent de visiter l’Espagne en juin-octobre 1934, à bicyclette, en compagnie d’un ami, Edmond d’Hooghvorst. Il s’émerveille du Greco et dessine énormément. En 1935, il est de nouveau à Bruxelles où il loue un atelier et travaille pour l’exposition de 1935. En février 1936, il expose des aquarelles et des icônes galerie Dietrich, et en juin il part au Maroc avec Alain Haustrate qui avait exposé à ses côtés.
Enivré de lumière il y reste près d’un an, vivant parmi les indigènes, tout en dessinant et peignant à Fès, Rabat, Casablanca, Kenitra, Marrakech (ses œuvres ont été détruites pour la plupart). En août 1937, il y rencontre Jeannine Guillou, peintre également, mariée à un peintre d’origine polonaise, Olek Teslar. Ils visitent le pays à dos d’âne accompagnés de leur jeune fils Antek (Antoine Tudal). En mars 1935, Jeanine Guillou a exposé à Fès avec son cousin Deyrolle. Lorsque celui-ci la rejoint deux ans plus tard, elle a quitté son mari et vit avec Nicolas de Staël. Ensemble ils séjournent en Algérie, travaillent et discutent beaucoup. En janvier 1938, Jeannine et Nicolas sont en Italie (Naples, Pompéi, Capri…). Copie Titien, Bellini, Mantegna… N’ayant plus un sou, ils rentrent en France.
Nicolas travaille trois semaines à l’atelier Fernand Léger, mais à bout de ressources, ils vont vivre quelque temps chez les parents de Jeannine à Concarneau, où ils retrouvent Deyrolle dont les conversations mettent Staël sur la voie abstraite. En septembre ils sont de retour à Paris, où ils occupent un atelier 124, rue du Cherche-Midi. Staël copie au Louvre Chardin et Delacroix. En 1939, pour gagner un peu d’argent, il exécute pour Lucien Fontanarosa la fresque du pavillon de l’Eau à l’Exposition internationale de Liège.
Lorsque la guerre éclate, il s’engage dans la Légion qui accueille les étrangers pour la durée du conflit, mais ne sera mobilisé qu’en janvier 1940, à Sidi-Bel-Abbès. Démobilisé en septembre à Sousse, il rejoint Jeannine à Nice. Ils fréquentent Magnelli à Grasse, Sonia Delaunay, Jean Arp, Le Corbusier, Goetz et Christine Boumeester dont les orientations relancent sa réflexion plastique. Encouragé par ceux qui sont au plus près de l’abstraction, il découvre sa véritable personnalité (natures mortes, portraits de Jeannine) : « J’ai cherché à atteindre à une expression plus libre. » En septembre 1943, la famille (une fille, Anne, née en 1942, a rejoint le petit Antek) arrive à Paris et s’installe grâce à l’amitié de Jeanne Bucher au 54, rue Nollet, dans l’hôtel particulier de Pierre Chareau alors en Amérique (dont Staël a fait la connaissance fin 1939). Deyrolle, qui est à Paris, les revoit. Les deux hommes s’influencent réciproquement, on note certaines similitudes surtout dans leurs pastels.
Staël dessine et peint avec acharnement de grands formats. Jeanne Bucher l’encourage et en février 1944 le présente pour la première fois lors d’un accrochage avec Domela et Kandinsky. La fréquentation, brève, du maître sera pour Staël un soutien considérable. Ses toiles présentent des plans géométriques rompus par des rythmes aigus que lui dictent des objets réels : marteaux, tenailles, arbres, racines, presse à bras ou encore viande de boucherie. L’emploi du couteau, qui lui permet d’écraser une matière épaisse, donne à ses compositions violentes aux tons montés une tension expressive.
Il se lie avec Georges Braque (qui illustre d’une lithographie un livre de poèmes d’Antoine Tudal, son beau-fils), Lanskoy, qui l’aide, l’oriente vers une peinture plus lyrique et colorée. Avec celui qu’il appelait « le superbe coquelicot », il partage ce goût de la matière. Il est également encouragé par Jean Bauret auquel Lanskoy l’a présenté et dont l’amitié et le regard critique accompagneront le peintre durant tout son parcours. Au printemps 1944, deux jeunes marchands, dont la galerie L’Esquisse, place Dauphine, dissimulait un réseau de résistance actif, Pierre Panier et Noëlle Alexandre prennent le risque d’organiser une exposition de groupe, « Peintures abstraites », qui réunit Domela, Kandinsky, Magnelli et Staël.
Un mois plus tard, la même galerie présente la première exposition particulière du peintre. Jeanne Bucher prend le relais en avril 1945 avec une exposition particulière sur les cimaises de sa galerie 9 ter, boulevard du Montparnasse. En mai, il est invité à participer au premier Salon de mai. Pour quelques mois il travaille dans une chambre de bonne, rue Campagne-Première, avant de s’installer dans un atelier 83, boulevard du Montparnasse où il habitera jusqu’en 1947. Période d’extrême précarité ranimant le mythe des peintres maudits. Staël, qui vit réellement avec sa famille dans un dénuement tragique (Jeannine Guillou, déjà malade, meurt en février 1946), puisera dans ce désespoir hanté par la faim une force régénératrice.
Pourtant des amateurs s’intéressent à son travail. Il rencontre Pierre Lecuire, Jean Adrian qui lui présente Georges Limbour. L’amitié de Braque, qui l’enrichit spirituellement, lui est alors précieuse. Il se rend régulièrement dans l’atelier du maître, rue du Douanier, près du parc Montsouris, où les deux hommes s’entretiennent pendant des heures. En mai 1946 il épouse Françoise Chapouton. Nommé au comité directeur du Salon de mai, seul « abstrait » parmi les non-figuratifs de tendance lyrique et surréaliste, il le quittera ensuite tout en continuant d’y participer en 1947, 1949 et de 1950 à 1955. En octobre 1946, un contrat le lie à Louis Carré (par l’intermédiaire de Louis Clayeux qui le connaît depuis 1944 et lui a fait rencontrer les collectionneurs Dutilleul et Masurel), et Jacques Dubourg, ancien collaborateur de Georges Petit, s’intéresse à lui sur les conseils de Lanskoy. Il lui achètera ses tableaux à partir de 1947 et le défendra jusqu’à la fin. Pour les ateliers de la Lys de Jean Bauret, il travaille sur des projets de tissus (tout comme Poliakoff et Geneviève Asse).
En janvier 1947, il s’installe dans un grand atelier de la rue Gauguet, proche de celui de Braque. Il se lie avec un voisin, Theodore Schempp, marchand américain qui organisera une importante exposition en 1951 dans sa galerie de New York.
À 32 ans, Staël a trouvé sa voie après de longues recherches, des interrogations et des incertitudes qui ne le quitteront jamais. Il sait que la « nouvelle » peinture passe par le problème de l’espace — non celui de l’art renaissant — et plus précisément celui de l’espace-couleur, conviction qu’il partage avec d’autres. Partant des bouleversements radicaux introduits par le cubisme et Matisse, que développèrent Kandinsky, Mondrian et Magnelli, Staël entreprend sa propre réflexion à une époque où, à la fin de la guerre, tous les possibles se révèlent.
Les batailles et polémiques esthétiques font rage, entraînant l’engagement des critiques dans des camps précis. Aussi est-ce dans un souci de simplification que l’on qualifiera alors d’« abstraits » les tableaux dans lesquels aucun objet connu ne pourra être identifié. Terme qui lui-même se subdivise en groupes différentiels — informel, tachisme, lyrique — auquel répond celui non moins ambigu de non-figuratif. Quant à Staël, il s’est toujours défendu d’être abstrait, rappelant qu’à la base de ses tableaux datés entre 1943 et 1947, il y avait toujours eu une expérience formelle et rythmique, parce qu’il « se sentait gêné de peindre un objet ressemblant ». Ce que pressent parfaitement Pierre Courthion lorsqu’il écrit dans sa préface de 1948 : « La peinture de Staël ne tend pas à représenter un objet quelconque et bien déterminé, elle présente au contraire un ensemble organique qui se passe de toute description et de tout pittoresque ; elle demeure éloignée de la peinture de critique. » Les réseaux géométriques dont l’épaisse pâte s’anime sous la pression de lignes frénétiques deviennent progressivement plus libres. Une lumière semble sourdre de l’intérieur, assouplissant le hiératisme des rythmes anguleux qui s’enchevêtrent avec violence dans une matière dense triturée et transformée par la couleur pure.
1948 apparaît comme une période plus sereine. Deux enfants sont nés, il a acquis la nationalité française. Expose à Montevideo avec un catalogue préfacé par Pierre Courthion. Pierre Lecuire rédige alors L’art qui vient à l’avant. Pourtant, en dehors d’un cercle restreint, Staël en pleine abstraction lyrique étonne. Avec son sens prémonitoire R. Van Gindertaël écrit : « Je ne crois pas être trop hasardeux en découvrant dans l’œuvre de Nicolas de Staël l’événement le plus important dans l’art d’aujourd’hui depuis le cas Picasso » (in Le Journal des poètes, Bruxelles, mai 1948). 1949, bref voyage à Amsterdam, La Haye, Bruxelles, revoit les musées et la mer du Nord.
1950, premier achat de l’État d’une toile exposée au musée national d’Art moderne. Juin, exposition de douze toiles chez Jacques Dubourg. Aucun retentissement auprès du public mais textes d’André Chastel, Bernard Dorival « Tal Coat, Singier, N. Staël » in La Table ronde, juillet 1950, Georges Duthuit, Charles Estienne, Patrick Waldberg, R. Van Gindertaël, René de Solier « Germaine Richier, de Staël, Bazaine, Chagall » in Cahiers de la Pléiade, printemps 1950. En été, il rend visite à Braque à Varengeville où il se rend assez régulièrement, puis court séjour à Londres à l’invitation de Denys Sutton, son ami depuis 1948. À la fin de l’année, il fait la connaissance de Suzanne Tézenas dont le salon, berceau du Domaine musical, accueille des musiciens, des poètes et des écrivains. Dans les années qui suivent, Staël y fréquentera Messiaen, Boulez, Stravinsky, Dora Maar, Jean Paulhan.
Début 1951 commence une longue amitié avec René Char qui débouche sur la réalisation d’un livre de Poèmes illustré par Staël. Les gravures sur bois sont exposées en décembre chez J. Dubourg sur un tronc d’arbre scié dans le sens de la longueur. Le livre est bien accueilli par la critique en février 1952. Au printemps 1951, exposition de dessins chez Jacques Dubourg. Séjourne pour la seconde fois à Grignan. Début 1952, importante exposition à la galerie Matthiesen à Londres à laquelle le public réserve un vif succès alors que la critique manifeste son incompréhension face aux sept toiles, sur les vingt-six exposées, qui amorcent un retour vers la réalité. Catalogue préfacé par Denys Sutton.
De 1948 à 1951, Staël s’était efforcé de traduire ses sensations d’espace et de lumière à partir de couches maçonnées dans la matière colorée aux étranges reflets d’émaux. À partir de 1952, sa vision du monde, enrichie de ses expériences passées, fondées sur une grande discipline formelle et une parfaite connaissance du rapport entre les couleurs, s’élargit sous l’influence du plein airisme qu’il pratique alors. Au printemps 1952 il va peindre « sur nature » chez Jean Bauret à Mantes, Chevreuse et Gentilly. Il compare peinture et monde extérieur et soumet ses toiles à la lumière du jour, ce qu’il n’a d’ailleurs jamais cessé de pratiquer.
« Il employait toujours le couteau à mastic. Je lui conseillais la truelle qui est un gros couteau à peindre. Son couteau de vitrier engendrant des “biscuits”, j’ai essayé de le faire passer des “biscuits” aux lunes, des lunes aux péniches, des péniches aux bouteilles, etc. et il prit l’habitude de prendre exemple sur les formes picturales de la nature… Le passage du “biscuit” abstrait à la “lune” concrète est important », écrit Jean Bauret (in catalogue exposition Staël, Paris, 1956). Celui qui se moque du « gang de l’abstraction avant » ne trahit pas — comme certains l’accusent — ses engagements mais cherche à travers les formes non figuratives une transposition poétique de la réalité. Dès mars 1950, Staël écrivait : « Je n’objecte rien à ce qui tombe sous les yeux. Je ne peins pas avant de voir. Je ne cherche rien que la peinture “visible” par tout le monde. » Il veut pouvoir peindre des paysages, des toits de Paris, le ciel à Honfleur, des bouteilles, des fleurs comme des pommes. Ainsi en est-il d’Une nuit au parc des Princes, exposée au Salon de mai 1952 non loin de Matisse qui expose La Tristesse du roi et des toiles que suscite le match France-Suède auquel il assiste le 26 mars 1952. En juin, il est à Bormes où, ébloui par la lumière, il passe ses journées sur la plage du Lavandou en peignant des toiles éclatantes. En septembre, il est à La Ciotat dont la vie du port et celle des chantiers le ravissent. A l’automne, voyage à Aubusson pour surveiller la réalisation de ses tapisseries dans l’atelier de Picaud. À la fin de l’année, un projet de ballets avec René Char puis avec Pierre Lecuire et Stravinsky n’aboutit pas.
En 1952 a paru Témoignages pour l’art abstrait (Éditions Art d’aujourd’hui, Paris) de Léon Degand, propos recueillis par Julien Alvard et R. Van Gindertaël, avec un entretien de l’artiste.
En 1953, il commence avec un rapide voyage en Italie (Florence, Ravenne sous la neige, Venise, Milan) en compagnie de sa femme et de Pierre Lecuire, avant de s’envoler pour New York pour son exposition en mars à la Knoedler Gallery. Staël a lui-même écrit le court texte du catalogue : « Toute ma vie j’ai eu besoin de penser peinture, de voir des tableaux, de faire de la peinture pour m’aider à vivre, me libérer de toutes les sensations, toutes les inquiétudes auxquelles je n’ai jamais trouvé d’autres issues que la peinture. Aujourd’hui je montre un ensemble auquel je suis très attaché comme je ne l’ai encore jamais été, en toute modestie. » La vie new-yorkaise le terrifie, il visite les musées, voit la collection Barnes et passe quatre heures devant Les Baigneuses de Cézanne.
À son retour, fatigué, il fait une lithographie pour Arrière-histoire du poème pulvérisé de René Char. Envoie Les Grandes Bouteilles au Salon de mai. En juin il reçoit la visite de Paul Rosenberg qui lui demande l’exclusivité pour l’Amérique. Son ami Pierre Lecuire fait paraître Voir Nicolas de Staël. Peint à Serre-Chevalier près de Briançon. En juillet, séjour à Lagnes dans le Vaucluse, suivi en août par un voyage en Italie et en Sicile dont les temples et les paysages lui dictent des toiles simplifiées, fraîches et colorées. En novembre, il achète une ancienne maison fortifiée, le Castelet, à la pointe du village de Ménerbes. Il y demeurera jusqu’à l’été 1954, se rendant régulièrement à Marseille, à Martigues. Il a choisi la région la plus austère et la plus tragique aussi de la Provence. Dans les immenses salles toutes blanches, ornées de rares meubles, les toiles rutilantes exécutées avec une rare énergie, terminées ou en cours d’achèvement se côtoient. Staël dessine et peint beaucoup, des paysages inondés de lumière et des nus. Avec l’emploi des brosses, sa technique se modifie, sa matière devient plus mince. Refusant de s’installer dans une solution définitive, il lui faut vérifier que son tableau « tient » dans la nature et que celle-ci, à l’inverse, y soit présente. Son expérience visuelle est à l’origine de chaque tableau. « J’ai besoin de sentir la vie devant moi et de la saisir tout entière, telle qu’elle m’entre dans les yeux et dans la peau », a-t-il écrit. Intuitivement il a renoué avec la ligne d’horizon recréant l’espace, et parvient à une osmose entre la solution plastique et son sentiment violemment exprimé.
Rencontre de Douglas Cooper et visite de son importante collection cubiste dans son château de Castille. 1954, exposition de ses peintures récentes, Paul Rosenberg Gallery à New York. Il montre régulièrement ses toiles à Jean Bauret qu’il rejoint à Erquinghem avec sa camionnette remplie de tableaux pour « essayer d’y voir large ». Avril, publication des Ballets Minutes de Pierre Lecuire avec vingt eaux-fortes et couverture couleur. Juin, quatrième exposition galerie Dubourg, assez controversée. Si André Chastel (Le Monde, 16 juin), André Berne Joffroy, R. Van Gindertaël comprennent et soutiennent cette évolution de la peinture de Staël, L. Degand et C. Zervos s’interrogent. Pendant l’été, peint à Paris les ponts, les quais, Notre-Dame. Se rend à plusieurs reprises sur les côtes de la mer du Nord à Gravelines puis à Cannes pour dessiner et peindre.
En septembre 1954, c’est l’installation à Antibes dans un atelier face au large. Devant le fort de Vauban — thème de ses ultimes toiles — et de ses remparts, resurgit le souvenir de la forteresse de son enfance. Il pousse encore plus loin son expérience personnelle de la réalité avec les moyens qui sont les siens : le dessin, les couleurs arbitraires structurant des apparences identifiables, la lumière irradiante. Son art se modifie encore. La matière de plus en plus fluide est diluée à la térébenthine avec des tampons de gaze. Peint la mer, le port, son atelier, des natures mortes (objets, bouteilles, poêlons appartenant à Jean Bauret). Octobre, voyage en Espagne avec Pierre Lecuire au cours duquel il dessine énormément. Visite le Prado, étudie longuement Goya, Zurbarán et surtout Vélasquez, « premier pilier inébranlable de la peinture libre ».
1955, travaille avec acharnement à une exposition prévue pour juin chez Jacques Dubourg, et une autre en été à Antibes. Grands fusains, dessins figuratifs. Travaille à l’illustration des Maximes de Pierre Lecuire. Mars, bref voyage à Paris pour écouter deux concerts du Domaine musical, Schönberg et Webern. À son retour entreprend L’Orchestre, Le Concert (musée national d’Art moderne, Paris).
Le 16 mars, il se donne la mort à Antibes. En juillet a lieu comme prévu l’exposition au musée Grimaldi. Jean Grenier publie en décembre 1955 dans L’Œil un « Portrait posthume de Nicolas de Staël », et Christian Zervos écrit une étude pour ses Cahiers d’art, XXXe année, pp. 265-276, parmi d’autres hommages. 1955-1956, une exposition itinérante est organisée par l’American Federation of Arts (catalogue, texte Theodore Schempp). D’importantes expositions sont organisées dès 1956 à l’étranger. Pour la France nous citerons celles de 1956 au musée national d’Art moderne (catalogue, préface Jean Cassou), 1957 galerie Jacques Dubourg, 1958 Arles, musée Réattu (catalogue préface Douglas Cooper), et galerie Jeanne Bucher, 43 dessins, préface de R. Van Gindertaël, et galerie Jacques Dubourg, collages, préface R. Van Gindertaël, 1965 galerie de Messine, Paris, lithographies et gravures, texte d’Antoine Tudal.
Nicolas de Staël a exposé au Salon d’automne en 1944, 1946, 1951 et 1952. Invité à « L’École de Paris », galerie Charpentier, en 1954 et 1955. Parmi les nombreuses expositions de groupe : 1947, « Fransche Kunst van Bonnard tot Heden », Gemeente Museum, La Haye. 1948, œuvres d’Adam, Lanskoy, Braque, Laurens, Staël, couvent des Dominicains, Étiolles. 1949, « Les grands courants de la peinture contemporaine, de Manet à nos jours », musée de Lyon ; « Contemporary Art: Great Britain, United States, France », Art Gallery of Toronto. 1950, « Foreningen Fransk Kunst: Levende Farver, Udvalgte Malerei og Billedtoepper af Nulevende Fransk Kunstnere », Charlottenburg Kunstakademie ; « Young Painters from U.S. and France », Sidney Janis Gallery, New York ; « Advancing France Art », œuvres de Bazaine, Estève, Hartung, Lanskoy, Lapicque, Staël, préface de Ch. Estienne, galerie Louis Carré, New York, exposition itinérante ; The Phillips Gallery, Washington : « Modem Art to live with », galerie Louis Carré, New York ; « Französische Malerei und Plastik 1938-1948 », texte de Jacques Lassaigne, Berlin ; « Mostra Internazionale del Disegno Moderno », Bergame. 1951, « Modern French Masters », galerie Louis Carré, New York. 1952, « La Nouvelle École de Paris », Ch. Estienne, premier groupe, galerie de Babylone, Paris : « Paintings by William Congden, Nicolas de Staël », The Phillips Gallery, Washington ; « Malerei in Paris Heute », Kunsthaus, Zurich ; « Young Painters: École de Paris », Royal Scottish Academy Galleries, Édimbourg ; « Europe, the New Generation », Museum of Modem Art, New York (exposition itinérante aux États-Unis) ; 1953, « The Classic Tradition in Contemporary Art », Walker Art Center, Minneapolis ; IIe Biennale de São Paulo. 1954, « Tendances actuelles de l’art français », Kursaal, Ostende ; XXVIIe Biennale de Venise. 1955, « Art in the 20th Century », San Francisco Museum of Art ; « Peintres d’aujourd’hui France-Italie », Turin. D’autres importantes expositions ont suivi depuis (liste in catalogue Fondation Maeght, 1991).
Parmi les importantes rétrospectives consacrées à Nicolas de Staël (liste op. cit.) :
1972, « Staël ». Fondation Maeght. Saint-Paul. Catalogue, texte André Chastel : « Nicolas de Staël : l’impatience et la jubilation ».
1976, « Nicolas de Staël ». Galerie Nathan Zurich. Catalogue, texte Bernard Dorival.
1979, « 123 dessins de Nicolas de Staël ». Galerie Jeanne Bucher. Catalogue, texte Antoine Terrasse.
1981, « Nicolas de Staël ». Grand Palais, Paris, et Tate Gallery, Londres. Catalogue, textes de Pierre Granville et Denys Sutton.
1984, « Nicolas de Staël, peintures et dessins ». Musée de Grenoble. Catalogue, texte Pierre Gaudibert.
1986, « Nicolas de Staël Antibes ». Musée Picasso, Antibes. Catalogue, textes Danièle Giraudy, Germain Viatte, Jean Leymarie.
1991, « Rétrospective de l’œuvre peint ». Fondation Maeght, Saint-Paul-de-Vence. Catalogue. Biographie, bibliographie.
1992, « Staël. Priorité peinture ». Galerie Daniel Malingue, Genève. Catalogue.
1994 Nicolas de Staël, peintures et dessins. Hôtel de Ville de Paris. Catalogue.
1995 Nicolas de Staël. Fondation Gianadda, Martigny. Catalogue.
2003 Nicolas de Staël. Musée national d’Art Moderne, Centre Georges Pompidou, Paris. Catalogue, textes de Jean-Paul Ameline, P. Boulez, A.Hiddleston, G. Maldonado, A.Malherbe, E.Rathbone, G.Viatte.
2014 Nicolas de Staël. Lumières du Nord. Lumières du Sud. Musée d’art moderne André Malraux, Le Havre. Catalogue.
2014 Staël, la figure à nu, 1951 – 1955. Musée Picasso, Antibes. Catalogue.
2018 Nicolas de Staël en Provence. Hôtel de Caumont, Aix-en-Provence. Catalogue.
Musées : Paris, national d’Art moderne, Art moderne de la Ville, Antibes, Dijon (Donation Granville), Grenoble, Lyon, Rennes, Colmar, Troyes, Montpellier, Bâle, Berne, Boston, Londres, New York, Washington, Rotterdam, Zurich, Düsseldorf, Winterthur, Kyoto.
Extrait de « L’Ecole de Paris, 1945-1965 Dictionnaire des peintres »,
éditions Ides et Calendes, avec l’aimable autorisation de Lydia Harambourg
www.idesetcalendes.com