Rien ne semblait prédisposer à l’art celui qui allait devenir l’un des maîtres de la couleur. Fils du comte Lanskoy, une carrière dans l’armée lui est naturellement tracée. Il entre à l’École des pages (1908) puis à l’École des cadets de Saint-Pétersbourg (1917). L’adolescent ressent un goût particulier et précoce pour les manifestations visuelles de la couleur, notamment dans la vie quotidienne et les objets de la culture populaire russe. Il aime les charmanka (orgues de Barbarie) décorés de rubans multicolores, les Petrouchka (Guignol) aux tonalités bariolées, les ballons rouges, et collectionne les tickets de tramway qu’il réunit suivant leurs nuances colorées. Plus tard, il fréquente avec ses camarades un cabaret artistique décoré par Soudeïkine dont il conservera longtemps le souvenir de ses décorations hautes en couleur pour évoquer des scènes folkloriques. Il ignore tout alors de la peinture. En 1919, il se réfugie à Kiev où, pendant deux mois, il dessine et colorie. Puis il s’engage dans l’Armée blanche qu’il suit en Crimée puis à Constantinople. Il arrive au printemps 1921 à Paris qu’il ne quittera plus.
“ Je fais du non-figuratif d’après la nature, ou plutôt d’après la vie et toujours en accord avec la vie. ”
Aussitôt il se met à peindre. Il rencontre des peintres russes, Bart, et Soudeïkine qui lui donne des leçons mais duquel il n’apprend qu’à nettoyer sa palette. Sa vraie formation, il la reçoit en fréquentant les galeries de la rue La Boétie, au Louvre où il étudie Vélasquez, le Greco, les primitifs italiens, les Vénitiens. Mais le « choc », il le reçoit devant le Portrait du peintre avec sa palette du Douanier Rousseau qu’il ignore. Enfin il lit la correspondance de Van Gogh avec son frère Théo et se familiarise avec son œuvre pour laquelle son admiration ne cessera de croître. En 1922, il travaille à la Grande Chaumière et commence à peindre d’après nature à Meudon, Clamart, multiplie croquis, aquarelles, esquisses.
Jusqu’en 1937 il reste du côté de l’image, de ce qu’il faut bien appeler l’identifiable, alors qu’il se refusera toujours par la suite à ratifier la dualité opposant abstraction et figuration puisque la nature préside à l’élaboration de chacune de ces expressions, pour lui nullement antagonistes. Toute cette première période comporte une évolution de technique, de palette que nous ne pouvons développer ici (consulter le livre édité chez Pittiglio). Rappelons que très vite Lanskoy s’impose au sein du groupe russe avec lequel il expose en 1923 à la galerie La Licorne, en 1924 à la galerie Carmine aux côtés de Soutine, Terechkovitch, des Delaunay, Survage, Pougny, Zadkine qui lui amène dans la petite chambre où il peint alors, rue Delambre, Zborovsky, son premier client.
En 1924, au Salon d’automne où il a débuté l’année précédente (il y figurera jusqu’en 1930), Wilhelm Uhde remarque son envoi et lui achète toute sa production jusqu’en 1925. C’est à ce grand collectionneur chez lequel il voit les toiles de Bombois et de Vivin qu’il doit son premier contrat avec la galerie Bing, 20 bis, rue La Boétie, et où il fera la rencontre déterminante du collectionneur Roger Dutilleul (Donation Dutilleul-Masurel, musée de Villeneuve-d’Ascq). Il y fait une exposition particulière en 1925. De 1928 à 1944, date à laquelle la galerie Carré s’occupe du peintre, R. Dutilleul va le soutenir pour lui permettre de continuer à peindre. Depuis 1935, il participe au Salon des Tuileries (où il figurera en 1948, 1954, 1955, 1959 et 1961) mais n’expose plus. À partir de 1937, son intérêt grandissant pour des œuvres de Klee et de Kandinsky l’amène progressivement à s’éloigner de l’objet, avec lequel il rompt en 1941. Il peint alors des gouaches où les formes s’altèrent au profit de taches colorées qui s’imposent comme finalité picturale : « Quand on prend de la couleur sur la palette, elle n’est pas plus figurative que si elle est destinée à représenter une fleur, ou plus abstraite si elle doit donner naissance à une forme imaginaire… Une tache posée sur la toile cherche à prendre une forme et lutte avec les autres formes déjà posées sur la même toile. L’aboutissement de cette lutte est la naissance du tableau », écrit Lanskoy en 1952 (in « Lanskoy 1925-1952 van figuratief naar Abstract », Anvers, Zaal CAW, avec un texte de R. V. Gindertaël).
Dans cette phase intermédiaire qui va demeurer au-delà du figuratif, c’est pour Lanskoy une étape fondamentale où il entrevoit « la nécessité de courir un risque plus grand et de donner beaucoup plus de lui-même » (op. cit.) et qui le conduit en 1944 à l’abstraction pure. En 1942, il expose ses œuvres de transition galerie Berry-Raspail et en 1944 la galerie Jeanne Bucher, qui a dû fermer à plusieurs reprises sur ordre des Allemands, présente les œuvres récentes de Lanskoy. C’est l’année où R. Dutilleul le présente à Louis Carré avec lequel débute une collaboration qui durera seize ans (1961). En 1945 a lieu une autre rencontre, celle de Nicolas de Staël qui, ayant vu chez J. Bucher les tableaux de son compatriote et aîné, demande à faire sa connaissance. C’est le début d’une profonde amitié, faisant naître des liens de travail qui unirent les deux artistes jusqu’à la mort de Staël en 1955. Leurs recherches parallèles présentent d’évidentes affinités à cette époque, et l’on ne peut nier l’influence jouée alors par Lanskoy.
La galerie Louis Carré, installée depuis janvier 1938 au 10, avenue de Messine, est une des galeries présentant des artistes de l’école de Paris : on y trouve Picasso, Matisse, Vuillard, Rouault et, après la guerre, Robert Delaunay, Jacques Villon, Estève, Kupka, Hartung, Soulages, de Staël. En ouvrant une succursale à New York en 1949, cette galerie permet la diffusion à l’étranger du travail des représentants de la tradition française. Lanskoy sera présent aux expositions collectives de la galerie. L’activité artistique se revivifie au cœur des polémiques qui se nourrissent des débats passionnés divisant critiques et public sur le problème figuration-abstraction. Pour Lanskoy, qui s’interroge sur ce conflit, « la peinture a toujours été abstraite, mais on ne s’en aperçoit pas ; il n’y a donc pas à proprement parler de rupture » (op. cit.). Pour preuve, la peinture figurative de l’artiste sera très souvent présentée avec sa peinture abstraite lors de ses expositions. 1948, première exposition personnelle galerie Louis Carré, « Œuvres 1944-1948 ». Les premières présentent des contours très délimités pouvant encore évoquer des éléments figuratifs, puis la composition offre une structuration des formes où le sujet réside uniquement dans l’expression de la couleur.
Les œuvres plus récentes rompent définitivement avec l’imitation figurative. Une plastique graphique et visuelle se met en place, identifiable très vite comme une signature. La composition s’appuie sur un réseau de lignes essentiellement courbes où dominent l’oblique, l’ellipse, la spirale dont la complexité propose un ensemble de formes géométriques détentrices du rythme, inhérent à toute création chez Lanskoy et ne présentant aucun lien avec la réalité. Cette structure formelle se double d’une combinatoire colorée non moins codifiée : les tons froids de bleus, vert cru, violets, rosés alternent avec les tons chauds de vermillon, jaune orangé, ocre et bruns. Il peut étaler sa pâte ou la moduler. Le peintre a lui-même expliqué alors sa façon de travailler : « Je commence par ébaucher la composition à l’aide de quelques coups de fusain ou de pastel : c’est le squelette du tableau, toujours assez élastique. Les premières vagues de couleur le modifient, mais ne le font pas disparaître complètement. Puis, j’approfondis les formes et j’étudie leurs rapports en me préoccupant de la technique et de la couleur. Parfois, j’introduis un nouveau graphisme noir ou blanc, en relation avec l’idée qui m’a servi de point de départ ou suivant les exigences du rythme des formes » (in Notes sur ma peinture, Paris, Archives privées, 1949).
On observe dès cette époque la mise en place de caractéristiques qui deviendront des permanences de son art : rigueur de la construction sous-tendue par le dessin (importance des croquis précédant chaque toile) auquel se soumet la couleur. Une dominante colorée au sein d’une palette luxuriante, dont la vivacité des couleurs se trouve renforcée par des superpositions de valeurs. La lumière s’accroche alors sur les aspérités ou les traits parallèles faits dans la matière. Ou bien le blanc est utilisé comme valeur lumineuse, auquel s’oppose le parti pris du noir, dominant dans certaines œuvres, et qui exalte les entrelacs colorés. Enfin, aux couches picturales posées en larges aplats répondent l’apparence grumeleuse et le relief inégal dû à la fragmentation de la touche sous l’effet d’une brosse dont le maniement est intimement lié à la liberté du geste.
Dans la capitale, Lanskoy expose en 1949 galerie Des Garets, en 1951 galerie Jacques Dubourg « Œuvres de 1925 à 1935 », en 1952 galerie Louis Carré « Peintures 1925-1952 », qui le présente de nouveau en 1957 avec « Peintures 1954-1957 », catalogue avec un texte de R. V. Gindertaël, « Ébauche d’un portrait ». À la même époque un autre critique important écrit sur Lanskoy et s’intéresse à son œuvre, Jean Grenier. En 1956, il écrit : « Lanskoy se classera certainement parmi ceux qui recherchent l’exaltation de la couleur et savent le mieux tirer parti de l’épaisseur de la pâte. […] Art violent, luxuriant, tumultueux et barbare d’aspect » (in L’Œil, mai 1956). 1959, galerie Raymonde Cazenave, « Lanskoy, peintures 1947-1958 », texte de R. V. Gindertaël, qui écrira la préface de l’exposition « Lanskoy » au palais Galliéra en 1966.
Entre-temps il y a eu les expositions parisiennes de 1956 galerie Palmes, « Dessins 1922-1956 », de 1958 galerie Claude Bernard, « Gouaches », de 1959 librairie Pierre Bérès, « Cortège », illustrations pour le livre de Pierre Lecuire, de 1960 galerie Charpentier, « Vingt gouaches », et galerie Claude Bernard, « Papiers collés », de 1961 galerie Europe, « Lanskoy, dix peintures récentes », de 1962 galerie Kriegel, de 1970 galerie G. Bongers, « Peintures, collages, dessins », de 1975 galerie de Seine. Exposition posthume en 1977, Maison de l’Iran, « A. Lanskoy, dernières œuvres », préface de Gaston Diehl.
Dès 1953 les expositions personnelles se multiplient en province et à l’étranger. Citons : 1953, Londres Arthur Tooth & Sons Gallery, « Peintures 1925-1953 », 1954, Wuppertal, galerie Parnass, 1955, Stockholm Svenska-Franska Konstgalleriet, « Oljemälningar 1944-1954 » avec le texte d’A. Lanskoy Notes sur ma peinture, galerie où il exposera ses œuvres de 1958 à 1961, en 1961. 1956 débute à New York, Fine Arts Associates, avec des œuvres récentes ; puis c’est la galerie Albert Loeb qui l’accueille en 1959, texte de Chantal Maisonnier, en 1960, 1961, 1962, et en 1965 la galerie Knoedler avec un texte de R. V. Gindertaël. En 1959 il expose à Genève, galerie Benador, accompagné d’un texte d’Yvon Taillandier, et en 1961 au musée de l’Athénée. 1961, Londres, Kaplan Gallery. 1962, Munich, galerie Dorothie Leonhart. 1963, Saint-Gall, galerie Im Erker, texte d’Yvon Taillandier et A. Lanskoy ; il est aussi à Düsseldorf et Francfort, et présente à Roanne « Cortège » ainsi qu’à Reims en 1964 galerie Droulez « Dédale ». D’autres expositions ont lieu ensuite.
Nous ne pouvons citer que quelques-unes des multiples participations de l’artiste aux expositions collectives (liste complète dans l’ouvrage édité par Pittiglio). 1949, « Rythmes et couleurs », galerie Bernheim Jeune, Paris. 1950, Afrique du Sud, exposition itinérante sur l’art français contemporain ; « Gouaches, printemps de la peinture » avec Bazaine, Lapicque, Léger, Magnelli, Manessier, Prassinos, Reichel, Vieira da Silva, Villeri, galerie La Hune, Paris ; « L’École de Paris : 1900-1950 », Londres, Royal Academy of Art ; « Advancing French Art » avec Bazaine, Estève, Hartung, Lapicque, Staël, galerie Louis Carré, New York. 1951, « Hartung, Lanskoy, Schneider », galerie Louis Carré, Paris. 1952, « Rythmes et couleurs. Art français », Lausanne, musée des Beaux-Arts ; « La Nouvelle École de Paris », galerie de Babylone, Paris. 1953, « Younger European Painters », New York, Guggenheim Museum ; expositions itinérantes au Japon (« Deuxième exposition d’art international ») et en Australie (« Peinture française aujourd’hui »).
1954, « Tendances actuelles de l’art français », Ostende, Kursaal. 1955, « Regards sur la peinture contemporaine », musée Galliéra, Paris ; « La Nouvelle École de Paris », galerie Craven, Paris ; exposition itinérante à Madrid et Barcelone, « Tendances récentes de la peinture française ». 1956, « Dix ans de peinture française 1945-1955 », musée de Grenoble ; « Art français contemporain », musée de Mexico ; festival de l’Art d’avant-garde, Marseille. 1958, « Tapisseries françaises contemporaines », Arras, palais Saint-Vaast ; « Rencontre d’octobre à Nantes. Aspects de la peinture d’aujourd’hui », musée de Nantes.
1959, « Fifteen Painters from Paris », Washington, Corcoran gallery ; « The School of Paris 1959, the Internationals », avec Appel, Hartung, Riopelle, Schneider. Soulages, Vieira da Silva, Zao Wou-Ki, Minneapolis, Walker Art Center. 1960, « École de Paris », musée de Tokyo ; « Galerie Jeanne Bucher 1925-1960 », galerie Jeanne Bucher, Paris ; « Peintres russes de l’École de Paris », musée de Saint-Denis. 1961, « Peintres d’aujourd’hui, France-Italie », Turin. 1962, « École de Paris », Milan, Galleria Levi ; « École de Paris : Appel, Atlan, Helman, Lanskoy, Music, Pignon, Poliakoff », Naples, Galleria il Centro ; « Dubuffet, Estève, Fautrier, Lanskoy, Miró, Poliakoff, Riopelle, Tapiès », Stockholm, Svensk-Franska Konstgalleriet. 1963, « La grande aventure de l’art du xxe siècle », Strasbourg, château des Rohan. 1964, « Figuratie and Defiguratie », musée de Gand; « 50 ans de collages », musée de Saint-Étienne. 1965, « Aspekte 1944-1965 », Bâle, galerie Beyeler.
Lanskoy a participé au Salon de mai en 1949, 1950 et de 1955 à 1961, en 1960 à Zurich et en 1961 à Amsterdam où le Salon est invité, au Salon des réalités nouvelles en 1962, 1963, 1967, hommage en 1977. Invité à « L’École de Paris », galerie Charpentier, de 1954 à 1959. Grands et Jeunes d’aujourd’hui en 1964, 1966 et 1968. Au Carnegie Institute Pittsburgh en 1952, 1955, 1959 et 1961. « Documenta » de Kassel en 1959 et 1964.
Dès 1951 Lanskoy réalise des cartons de tapisseries pour la manufacture d’Aubusson, d’après des gouaches et des collages. L’une est acquise pour le paquebot France en 1958. Il s’intéresse à l’illustration. Pour Cortège de Pierre Lecuire, il approfondit sa technique du collage (1959). Dédale, du même auteur, est accompagné d’eaux-fortes (1961). Pour La Genèse (1966), il utilise la gouache et la lithographie. Son œuvre illustrée essentielle reste l’illustration du Journal d’un fou de Gogol (1958-1968) avec 169 collages de papiers découpés et gouaches. (Expositions au musée de Saint-Étienne en 1968, au Creusot et à Mulhouse en 1970.) À la fin de sa vie, il réalise des mosaïques et se rend à Ravenne pour perfectionner ses recherches (mosaïques de la faculté de Rennes, 1974).
Celui qui confie « je fais du non-figuratif d’après la nature, ou plutôt d’après la vie et toujours en accord avec la vie » (op. cit.) se situe dans le mouvement hétérogène des abstraits lyriques, issus de Kandinsky, selon Charles Estienne. Tous ont en commun « la gestualité », le goût de « la matière », « l’expression directe de la nature, pure et libre ».
1988, « Œuvres sur papier ». Galerie Pittiglio, Paris. Catalogue.
1989, « Lanskoy ». Galerie Pierre Guénégan, Paris. Édition d’un livre avec un texte de Catherine Zoubtchenko.
1990, « Peintures 1944-1961 ». Galerie Louis Carré & Cie, Paris. Catalogue, texte de Pierre Guégen écrit en 1957 pour l’exposition la même année dans cette galerie. Biographie, bibliographie.
Musées : Paris, musée national d’Art moderne, Centre G. Pompidou et Art moderne Ville, Colmar, Grenoble, Le Havre, Lille, Maubeuge, Mulhouse, Saint-Étienne, Tourcoing, Villeneuve-d’Ascq, New York, Toledo.
Extrait de « L’Ecole de Paris, 1945-1965 Dictionnaire des peintres »,
éditions Ides et Calendes, avec l’aimable autorisation de Lydia Harambourg
www.idesetcalendes.com