En 1938, il arrive à Paris où il installe son atelier rue Armand-Moissant. Le maître catalan le présente à Pierre Loeb qui organise sa première exposition parisienne en juillet 1939. La galerie interrompt peu après ses activités : sous l’Occupation, P. Loeb passe en zone sud et s’embarque avec sa famille pour Cuba où il séjourne jusqu’en 1944. La guerre contraint Lam à abandonner également Paris en 1941. L’année précédente il a exposé à New York, Perls Gallery, avec Picasso qui, à Paris, l’a présenté à André Breton, Max Ernst et Victor Brauner, entre autres. Ses peintures, enrichies de ses expériences passées, présentent des traits raides et anguleux aux tons vifs et contrastés où domine un esprit volontairement primitif et à jamais tragique. À Marseille, il retrouve ses amis surréalistes : Pierre Mabille, René Char, Max Ernst, Victor Brauner, Óscar Domínguez. 1941, avec André Breton, Claude Lévi-Strauss, Victor Serge et trois cents intellectuels, il embarque sur le Pont de Merle. Six mois après à la Martinique, ils sont tous internés dans un camp où Lam reste quarante jours. Fait la connaissance d’Aimé Césaire et retrouve André Masson.
Retourné à Cuba en 1942, il s’installe à La Havane où il séjournera jusqu’en 1947 entre plusieurs voyages. Après vingt ans vécus en Europe, Lam retrouve sa terre qu’avec tous ses acquis il reconquiert. Période féconde d’où tout son œuvre futur va éclore et qui mérite que l’on s’y arrête. Sans opter pour le naturalisme ou l’abstraction, le peintre retrouve dans son fief une innocence qui l’éloigne des catastrophes et des souffrances qu’il a endurées. « Il connaît alors à l’échelle de ce monde tropical un sentiment paradisiaque de la vie, qui ne se traduira pas par une douce extase de ciels florentins, mais par la violente saisie plastique des éléments qui collaborent à la flore, à la faune et au climat antillais. Ce sont des faces de fétiches, des seins en forme de fruits exotiques, les fines et robustes colonnades de cannes à sucre, des lianes aux évolutions baroques, des mufles et des crinières, des becs et des ailes… » écrit Jacques Charpier (in Lam, Le Musée de Poche).
Sans décrire la réalité qui l’entoure, c’est son esprit qu’il capture et traduit par les seules valeurs plastiques qui sont les siennes. Reconnaissables par tous, chacun rejoint par son imaginaire cet univers fondé sur une mythologie personnelle. Sa grande gouache La Jungle (Museum of Modern Art, New York), présentée en 1979 au Centre Pompidou, à Paris, illustre parfaitement l’ensemble peint pendant cette période, et qui clôt la première époque de son auteur. Exposée en 1944 galerie Pierre Matisse à New York où a lieu son exposition particulière, la toile fait scandale (il exposera à plusieurs reprises dans cette galerie : 1942 préface d’André Breton, 1945, 1948, 1950).
Un dessin sensuel marque de son empreinte un naturalisme ouvert sur une stylisation. De fait, Lam élabore un bestiaire sous-jacent à ce qui sera une permanence « érotico-tellurique de l’œuvre » (op. cit.). Il le recompose à partir d’éléments réels et imaginaires, se détournant déjà de ce que nous offrirait une observation objective.
« Ce sont déjà des transfigurations de queues, de têtes d’oiseau, de sabots de cheval, d’ailes d’oiseau, d’écailles de serpent, de défenses de phacochère, etc. Et il arrive que nous sommes renvoyés à une morphologie animale, certes, mais trouble et équivoque… À partir de 1948, ce bestiaire aura de plus en plus tendance à se priver ainsi de références explicites. Ces êtres que va peindre Lam ne seront rattachés à l’homme ou à l’animal qu’à la faveur de signes laconiques : cornes, yeux, plumes, pieds… Des formes géométriques s’y intégreront, à peine détournées de l’abstraction par un mouvement d’ailes, une sinuosité de crinière, imperceptiblement “sensibilisées”, orientées d’une main subtile et rapide vers le monde de la féminité (allusions de seins, par exemple) ou le monde végétal (allusions de feuilles, d’épines). Enfin, des formes vides de sens rythmeront le tableau ou participeront à l’organisation plastique de ces signes… » (op. cit.).
1944-1945, invité par Pierre Mabille, conseiller culturel français à Port-au-Prince, Lam se rend à Haïti avec A. Breton qui fait une série de conférences. Il y séjourne de nouveau en 1946 et fait une exposition au Centre d’art avec un catalogue illustré, préfacé par A. Breton. Il assiste à des cérémonies vaudoues. La même année, il expose à La Havane au Lyceum, catalogue préfacé par Lydia Cabrera, et à Londres. En 1945 en passant par New York où il rencontre A. Gorky, Marcel Duchamp, Nicolas Calas, il est retourné en France, où il a retrouvé son ami Picasso à Cannes. À Paris, la galerie Pierre le présente pour la seconde fois. Entre 1947 et 1952, il se partage entre Cuba, New York et Paris qu’il élit définitivement. Expositions à La Havane en 1950, Parque Central, et en 1951 il obtient le premier prix du Salon national et expose à la Sociedad Nuestro Tiempo « Lam et notre temps », Paris 1938. La Havane 1951, catalogue illustré préfacé par Carlos Franqui, Londres 1952, ICA Gallery, catalogue avec le texte de la conférence de E. L. T. Mesens. En 1953, le public parisien le retrouve galerie Maeght, catalogue Derrière le miroir n° 52 avec des textes de Michel Leiris, d’Aimé Césaire, René Char, André Breton, Pierre Mabille, Christian Zervos et des lettres de Picasso et Braque. La même année il reçoit le prix Lissone (médaille d’or des peintres étrangers).
À partir de 1954, il expose régulièrement au Salon de mai où il présente ses œuvres importantes. 1955, il fait une exposition à l’université de La Havane, par solidarité avec les étudiants qui luttent contre la dictature de Batista (catalogue), ainsi qu’au musée de Caracas, catalogue avec des textes de Michel Leiris, Pierre Mabille, Herbert Read, poème de René Char, déclaration de Georges Braque, lettre de Picasso, présentation de A. Carpentier. À Paris, il fait la connaissance de Lou Laurin, peintre suédoise qu’il épousera en 1960 à New York et qui lui donnera quatre enfants. Toujours en 1955, il expose à Malmö, galerie Colibri. En 1956, visite le Mato Grosso et sa forêt vierge au Brésil. Il y retrouve cette jungle peuplée de figures composites : « C’est la forêt tropicale tantôt hurlante et tantôt hantée par le silence menaçant des déserts, qui a vu surgir ces visages rendus furieux par les gouttes d’eau… La tension qui règne ici est unique et permanente… parfois hostile, car Lam erre à l’aventure dans ces forêts englouties […] où des bêtes des temps révolus continuent à gronder… Il s’est attaché à leur capture, non pour les dompter mais pour nous les montrer à l’état sauvage et dans toute leur captivante fureur, afin que nous puissions les reconnaître en nous », écrit Benjamin Péret (in Médium, n° 4, janvier 1955). 1957, exposition personnelle galerie des Cahiers d’Art.
De nouveaux amis parmi lesquels Alain Jouffroy, Gherasim Luca, René Char le retrouvent dans son atelier villa d’Alésia. Chaque œuvre garde son mystère : axée sur la métamorphose, c’est à chacun de trouver des significations, les clés à ces monstruosités où tout ce qui griffe, déchire — ongle, dent, croc, épine, bec, corne — engendre la douleur, la violence, la frénésie. Ces composantes hétérogènes, jouant volontairement l’équivoque et le renversement de l’identité, ne se définissent qu’en tant que formes plastiques accessibles par le dessin, lui-même agressif, d’une acuité obscène. Quant à la couleur, celle-ci sera soumise au trait, d’autant plus qu’elle en accuse le relief, isole la forme. Pour Jacques Charpier : « Elle a aussi une autre fonction : celle de créer la tonalité affective du tableau » (op. cit.). Aux harmonies de bruns, de noirs, de verts en camaïeu s’oppose une palette dont les irradiations font miroiter les vermillons, les rosés, les jaunes comme les facettes du spectre solaire. Lam nous maintient dans une terreur qui ne cesse de nous interroger, et dont les maléfices apparents sont détenteurs d’un immense pouvoir poétique.
Vers les années 1960, les têtes se meuvent en triangle, alors que la forme générale tend vers des signes géométriques soulignés par des attributs divers évoqués plus haut. La composition se décante, s’aère et s’appuie sur l’organisation plastique de ces emblèmes. Cette simplification se double de la transparence plastique, de ces emblèmes vagues dans un espace plus clair qui se généralise avec les années, tout comme les tonalités bistre.
1960, premier séjour à Albissola Marina près de Gênes où il retrouve des artistes italiens et étrangers (Asger Jorn). En 1964 il s’y fait construire un atelier et partagera son temps entre la station balnéaire et Paris. En 1963 il est invité par le gouvernement cubain, dirigé par Fidel Castro depuis 1959. Il retournera à Cuba en 1966 et en 1967 où par son intermédiaire le Salon de mai est invité. 1965, reçoit le prix Guggenheim International Award à New York et le prix Marzotto à Valdano (Italie). D’importantes expositions ont lieu à l’étranger, notamment en Italie à Milan, Rome, Venise, à Genève, New York, Caracas.
À Paris, il expose encore en 1966 galerie Christine Aubry et galerie Aubry Rueff, en 1967 galerie Albert Loeb et également en 1972 (œuvres de 1940 à 1950), 1976, ene 1968 galerie Villand et Galanis, en 1974 galerie La Cour d’Ingres, en 1979 à Artcurial (catalogue). Parmi les expositions collectives, Lam a participé aux expositions internationales du surréalisme à Paris en 1947. 1948 Prague et Santiago du Chili, 1959 Milan, 1960 Paris galerie Daniel Cordier et 1964 galerie Charpentier organisée par Patrick Waldberg « Le surréalisme, sources, histoire, affinités ». Les expositions du mouvement « Phases » organisées par Édouard Jaguer entre 1955 et 1960 à Paris, Bruxelles, Amsterdam, Varsovie, Cracovie, Buenos Aires, Lima, Santa Fe. 1958, « 50 ans d’art moderne » à l’Exposition internationale de Bruxelles.
Dans les dernières années de sa vie, l’artiste a travaillé la céramique (expositions en 1970 à Milan et en 1975 à Bologne) ainsi que la sculpture, terre cuite, airain ou bronze, pour traduire ses visions. Il s’est très tôt consacré à l’illustration d’ouvrages littéraires de ses amis poètes, Breton, Césaire, Char, Éd. Glissant, A. Bosquet, Gherasim Luca, P. Mabille, R. Crevel, A. Jouffroy, A. Artaud, J. Cassou, parmi d’autres. Il a toujours pratiqué l’eau-forte et la lithographie parallèlement à son œuvre peint. 1970, Milan, exposition de l’œuvre graphique, Galerie Il Giorno. 1974, Savone, galleria Sanmichele, eaux-fortes, aquatintes, lithographies (catalogue). Des rétrospectives de son œuvre ont lieu dès 1966 à la Kunsthalle de Bâle (catalogue). 1967, Bruxelles, palais des Beaux-Arts, catalogue, texte de Maurice Nadeau.
1983, rétrospective. Musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Catalogue.
Musées : Paris, Art moderne Centre G. Pompidou, Art moderne de la Ville, Saint-Paul-de-Vence, Rotterdam, Vienne, Hambourg, Berlin, Silkeborg, Skopje, Chicago, Caracas, Baltimore, Londres, Locarno, Varsovie, Washington, New York, Miami, Stockholm, Malmö, New Haven, Lima, La Havane.
- Jacques Charpier, Lam. Le Musée de Poche, Paris 1960.
- Yvon Taillandier, Wifredo Lam, dessins. Éditions Denoël 1965.
- Alain Jouffroy, Lam ; Éditions G. Fall. Bibli Opus, Paris 1972.
- Gérard Xuriguera, Wifredo Lam. Éditions Filipacchi, Paris 1974.
- Philippe Soupault, Wifredo Lam, dessins. Éditions Galilée. Dutrou 1975.
- Max-Pol Fouchet, Wifredo Lam. Éditions Poligrafa, Barcelone, et Cercle d’Art, Paris 1976. Réédition 1989.
- xxe Siècle, n° 52, juillet 1979, numéro spécial sur W. Lam.
- Catalogue raisonné en préparation par Lou Lam.