par Lydia Harambourg
Le terme « Nouvelle École de Paris » est employé pour la première fois en 1952 par Charles Estienne pour une exposition qu’il organise à la galerie de Babylone, à Paris, afin d’éviter la confusion entre la première École de Paris née de la présence de nombreux artistes étrangers immigrés au début du xxe siècle et la nouvelle génération se réclamant de l’abstraction après la guerre. Le critique Charles Estienne regroupe la majorité des peintres emblématiques des années 1950, n’ayant rien de commun avec la génération précédente.
Tout a commencé en 1941 avec l’exposition « Vingt jeunes peintres de tradition française » qui, face à l’occupant, opposent la permanence de la peinture encore non affranchie de la nature et de la figure, avant de se tourner vers une peinture non figurative. Parmi eux figurent Bazaine, l’initiateur, Bissière, Manessier. Ils constituent le noyau de ce qui va s’appeler la Nouvelle École de Paris. Mais le terme d’école est impropre, puisqu’elle ne dispensait aucun enseignement, et qu’elle était constituée de groupes divers propices à un brassage d’expressions nées des héritages fauve, cubiste et surréaliste (Masson, Lam). Souvent antagonistes, ces courants se créent et se défont au gré d’enjeux esthétiques et de polémiques entre critiques, dans une presse engagée où les quotidiens et les revues prennent le relais des marchands attachés à des artistes, initiateurs d’un art abstrait libre, entre lyrisme et abstraction (Restany).
“ Pendant près de deux décennies, l’esthétique du geste, de la vitesse et de son contrôle, du signe, va rallier des artistes venus des quatre coins du monde pour des véhémences confrontées vécues avec la liberté, le risque et la jubilation qui caractérisent les peintres de ces années de combat. ”
Les peintres abstraits développent chacun leur recherche personnelle : Vieira da Silva, Nicolas de Staël, Fautrier, Hélion, Charchoune, Estève, Atlan qui fait le lien avec Cobra (Jorn, Corneille, Appel), Dubuffet, Bram et Geer Van Velde. Tous ne sont pas lyriques. Denise René défend l’abstraction géométrique à laquelle se rattachent Magnelli, Herbin, Vasarely. Le trio Hartung, Schneider, Soulages chez Lydia Conti contre-attaque. Très vite, la Nouvelle École de Paris prend une place prépondérante. L’abstraction lyrique a le vent en poupe. Elle revendique le geste, le signe, la vitesse. C’est Georges Mathieu qui dès 1947 donne sa visibilité à une non-figuration lyrique ou psychique, avec une exposition de groupe où il réunit notamment Wols, Bryen, Atlan, Riopelle avant de révéler l’année suivante les peintres américains de l’Action Painting (Pollock, Tobey, de Kooning).
L’abstraction lyrique est au cœur des débats menés par une critique offensive dominée par Charles Estienne, Léon Degand, Julien Alvard, Michel Tapié, R. V. Gindertaël, Michel Ragon, Jean-Clarence Lambert, Pierre Restany avant sa rupture avec les peintres de la Nouvelle École de Paris.
L’espace et le temps sont devenus des éléments poétiques. Avec Olivier Debré, Zao Wou-Ki, Chu Teh-Chun, la nature est appréhendée autrement et suggère à Ragon le terme de paysagisme lyrique. Signe paysage, signe personnage, pour l’abstraction fervente de Debré, l’immanence du geste pour une fulgurance graphique avec Hartung, Schneider, Mathieu, l’abstraction lyrique décline d’autres appellations : art informel, art autre (Tapié), tachisme.
Matière, rythme, symbolique du signe convoquent les formes et les couleurs sous la pression d’une écriture gestuelle. La tache connaît des fortunes diverses avec Lanskoy, Estève, Manessier. De Saint-Germain-des-Prés à la rive droite, les galeries essaiment et sont les bastions incontournables où les conquêtes picturales témoignent d’une intense activité (Pierre Loeb, René Drouin, Paul Facchetti, Jeanne Bucher, Nina Dausset, galerie de Beaune, de Babylone, Kléber, Pierre Craven, Arnaud…). Un seul mot d’ordre, ne plus figurer. Les artistes cohabitent sur les cimaises et dans les Salons nouvellement créés : Réalités Nouvelles, Mai, Salon d’octobre.
Pendant près de deux décennies, l’esthétique du geste, de la vitesse et de son contrôle, du signe, va rallier des artistes venus des quatre coins du monde pour des véhémences confrontées vécues avec la liberté, le risque et la jubilation qui caractérisent les peintres de ces années de combat.
Paru en 1993 aux Éditions Ides et Calendes, l’ouvrage L’École de Paris, 1945-1965. Dictionnaire des peintres de Lydia Harambourg était épuisé depuis plusieurs années. Sa réédition en 2010, avec des mises à jour, répond à l’attente d’un public de professionnels et d’amateurs de plus en plus nombreux, dont l’intérêt pour ces années pionnières coïncide avec sa reconnaissance par les institutions publiques. Ces courants multiples et emblématiques de la seconde École de Paris, appelée aussi par une critique divisée la Nouvelle École de Paris, sont aujourd’hui entrés dans l’histoire. L’historienne de l’art Lydia Harambourg a abordé pour la première fois, sans ostracisme, cette diversité stylistique qui témoigne des expressions multiples d’une exceptionnelle vitalité créatrice, qui va de l’abstraction lyrique à l’abstraction géométrique, de l’art informel à la figuration, de la non-figuration à l’expressionnisme.
Lydia Harambourg est historienne, écrivaine, journaliste et critique d’art. Membre correspondante de l’Académie des beaux-arts de l’Institut de France, elle est spécialiste de la peinture et de la sculpture des XIXe et XXe siècles. Rédactrice de la chronique hebdomadaire des expositions dans la Gazette de l’Hôtel Drouot et commissaire d’expositions, elle est l’auteure de nombreux ouvrages dont notamment L’École de Paris, 1945-1965. Dictionnaire des peintres, paru en 1993 aux Éditions Ides et Calendes, et récemment réédité. Ses monographies font référence, dont notamment celles consacrées à Bernard Buffet, Olivier Debré, Georges Mathieu ou Chu Teh-Chun. Elle est lauréate de nombreux prix dont plusieurs décernés par l’Académie des beaux-arts.